La révolution numérique est ici, l’avenir est en marche : les optimistes se voient pousser des ailes, les pessimistes se recroquevillent en geignant. Certains tentent des expériences de vente inédites tandis que d’autres bardent leurs fichiers de DRM. Le livre électronique va nous libérer ! Le livre électronique va nous tuer !

Loin de ces deux extrêmes, les passionnés à l’origine de la revue Angle Mort se sont retrouvés autour du constat suivant : il n’existe pas, en francophonie, de revue électronique de science-fiction, fantasy et fantastique publiant des auteurs reconnus1. Les internautes passionnés de genre connaissent sans doute des webzines critiques (ActuSF, Le cafard cosmique) et des portails de référence (nooSFère), mais aucun site n’est spécifiquement dédié à la publication de textes au format électronique2. Utopod sévit bien dans le registre de la fiction littéraire, mais sa mission consiste avant tout à faire redécouvrir sous forme audio des textes déjà parus.

Nul n’oserait pourtant réfuter la récente migration culturelle des arts et des médias vers la sphère électronique. Il s’agit donc moins d’un postulat sur la pertinence du papier que sur celle de la littérature, car s’il est une leçon que la science-fiction nous a enseigné, c’est l’inévitabilité du changement. Ou, dans les mots de J. G. Ballard : « La science et la technologie prolifèrent autour de nous. De plus en plus, elles dictent les langages dans lesquels nous parlons, dans lesquels nous pensons. Nous pouvons adopter ces langages, ou nous taire. »3

Devant cet état de fait et motivés par l’envie d’importer une formule qui fonctionne ailleurs, une poignée d’accros à la littérature, aux textes courts et aux genres, ont décidé d’unir leurs compétences pour fonder Angle Mort, une revue électronique de science-fiction, de fantasy et de fantastique.

Après plusieurs mois de préparatifs, le premier numéro dévoile donc la formule d’Angle Mort : quatre nouvelles d’auteurs francophones ou étrangers disponibles gratuitement à raison d’un texte toutes les trois semaines, ou accessibles tous les quatre immédiatement avec quelques bonus (interview de chaque auteur) pour la modique somme de €2.99 (une combinaison qui n’est pas sans rappeler celle de la revue américaine Lightspeed Magazine). Une formule double qui a pour but d’amplifier la visibilité auprès d’un large public tout en récompensant les fans les plus fidèles de leur soutien. Elle rejoint d’autres canaux qui, nous l’espérons, nous permettront à terme de rémunérer nos auteurs et traducteurs.

Pour commencer, et de manière exceptionnelle, ce n’est pas un mais deux textes qui sont publiés dès la parution de ce numéro 1 : Ao, une fiction courte mi-poétique, mi-prophétique de Laurent Kloetzer, et Cœur flétri, une nouvelle de fantasy aztèque d’Aliette de Bodard. Ils seront suivis de Lenny Bruce, comique galactique, un hommage potache déguisé en comédie galactique de Xavier Mauméjean (début décembre), et de Deuxième personne du singulier, un texte de hard SF de Daryl Gregory, vertigineux bijou gravitant autour des neurosciences (début janvier).

Deux auteurs francophones, deux anglophones (bien qu’Aliette soit française, elle écrit en anglais) qui donnent un aperçu de la politique éditoriale d’Angle Mort : le soutien aux auteurs francophones (débutants ou confirmés), et l’exploration d’une nouvelle vague d’auteurs anglo-saxons peu ou pas encore publiés en français. Cette sélection démontre aussi par l’exemple le large spectre de genres concernés, et une politique qui fait primer la qualité et l’originalité sur les étiquettes.

Angle Mort se lance donc avec la casquette de défricheur d’un espace (la publication de nouvelles en ligne) encore mal cartographié, mais avec l’envie d’y croiser d’autres explorateurs, des animaux sauvages et des paysages grandioses. Bref, de s’aventurer…

  1. 1À l’heure où nous rédigeons cet édito, Onirismes, un projet de revue bilingue français-anglais, semble avoir vu le jour et nous nous en réjouissons
  2. 2On trouve quantité de nouvelles sur quarante-deux.org, mais il ne s’agit pas, à notre connaissance, de l’ambition première du site
  3. 3« Science and technology multiply around us. To an increasing extent they dictate the languages in which we speak and think. Either we use those languages, or we remain mute. »